Récemment, Mohamed Essbai a publié L’Air
de ma ville . C’est un roman autobiographique qui vient enrichir la
littérature maghrébine d’expression française.
Agrégé
de Français, l’auteur enseigne cette langue depuis plus de vingt ans, durant
lesquels il a vécu le calvaire de la « navette ». Fait qui non
seulement lui a inspiré cette œuvre mais de surcroît a contribué à souder son
grand attachement à la ville d’Oujda.
L’Air de ma ville est une
autobiographie qui se présente en 250 pages environ, articulées en 18 chapitres
de longueur moyenne.
L’image
de couverture ne répond sans doute pas à un choix gratuit, dans la mesure où
elle met en exergue le minaret de la mosquée Omar Ibn Abdelaziz, située sur un
grand boulevard du centre d’Oujda. Ce minaret ne serait-il pas un clin d’œil au
record, en nombre de mosquées, battu par cette ville ?
Le
choix du titre me semble fort judicieux en ce qu’il reprend une expression en
arabe dialectal «هواء بلادي », annonçant d’emblée
cette charge d’affection conjuguée à cette relation sentimentale
profonde de l’auteur avec sa ville.
Le sous-titre vient renforcer cette interprétation en
appuyant la quête de cet objet aimé par l’expression « cherche mutation à
Oujda ». Oujda serait donc un espace désiré, quêté, sollicité parce que le
narrateur s’en trouve séparé contre son gré.
Marcel
Proust s’était longtemps désolé de ne point trouver cités Les champs Elysées
dans les grandes œuvres de la littérature française. Or, c’était à lui
qu’incombait cette tâche. Une fois adulte, dans sa fameuse Recherche du
temps perdu , il évoqua ses promenades en ce lieu. Ce fût-là sa belle
revanche et son grand bonheur.
A l’instar de ce grand auteur, Mohamed Essbai va parler de la ville d’Oujda, cette grande oubliée de la littérature
marocaine d’expression française.
Fès, Tanger, Rabat, Marrakech, El Jadida, autant de
villes vénérées et sublimées dans des textes maghrébins par des auteurs
marocains tels que Ahmed Sefrioui, Driss Chraibi, Tahar Ben Jelloun pour ne
citer que ceux-là. De toutes les villes
du royaume, où serait-donc passée Oujda ? Des écrivains de l’Oriental
l’ont, certes, citée mais en tant que théâtre aux événements de leurs récits ou
romans. Elle reste, toutefois, cette ville marginale, effacée où les
personnages ne s’accomplissent jamais entièrement ; espace dans lequel
gravitent surtout enfants des rues et parias. Cette Oujda-là existe
incontestablement, nul ne saurait le dénier quoiqu’elle ne concerne qu’une
petite minorité.
A quand alors un ouvrage sur cette capitale de l’Oriental
du pays, cette ville millénaire où s’y retrouverait la majorité ? A quand
une image authentique sur cette ville authentique ?
La réponse nous est donnée avec le roman
autobiographique L’Air de ma ville de Mohamed Essbai. L’auteur a modifié quelques noms, rectifié quelques
menus détails afin que le lecteur baigne dans une atmosphère typiquement
orientale.
Le roman
s’ouvre sur une ruelle dans un quartier populaire « Village
Koulouch » où des petits enfants jouent au football avec un ballon en
plastique. Rien de plus banal, de plus beau, de plus fantastique que ce tableau
si redondant dans toutes nos villes. Tableau rare, sinon quasi introuvable dans
des pays riches. Cette ouverture enjouée sur une scène de vie pleine de joie de
vivre dans le cœur des enfants trouve son écho dans la clôture du texte.
L’autobiographie se clôt sur un bonheur tout différent. Le narrateur adulte
range ses livres dans la bibliothèque de sa nouvelle maison. Il est enfin
heureux de retrouver l’objet de sa quête après un long et dur parcours.
Ainsi, Oujda paraît comme l’espace de
l’aboutissement. Le père du narrateur,
de par la nature de son métier dans l’armée, avait passé une grande partie de
sa vie à parcourir le Maroc dans tous les sens. Il finit par se stabiliser à
Oujda. Son fils aurait pratiquement hérité du même destin. Vers la fin du
roman, il aboutira au quartier Al Andalous ;
nom révélateur et très symbolique car, justement, le narrateur a été élevé dans
la sublimation de l’arabo-musulman et cette latente nostalgie de son âge d’or, incarnée dans
cette Andalousie perdue.
La trame
de ce roman autobiographique se tisse autour de trois thèmes majeurs qui
s’enchevêtrent et se fusionnent les uns dans les autres au point qu’il devient
difficile de les séparer.
Il s’agit d’abord du Roman d’apprentissage. Le héros
étant un petit enfant orphelin de père, affrontant les obstacles de la vie dès
un âge précoce, finit par faire l’apprentissage de la vie et faire preuve
de responsabilité.
Ensuite, l’Enseignement ; le narrateur est un
enseignant-navetteur menant de front les déboires de l’enseignant qui pratique
dans une classe et qui a un contact permanent avec les élèves, doublé des
dangers de la route et de la séparation d’avec les siens. Tous ces facteurs le
font vivre à un rythme vertigineux, fort stressant, voire déprimant. Rappelons
que le métier d’enseignant est plus qu’un choix pour le narrateur, c’est la
réalisation d’un rêve d’enfance. C’est l’ascension par excellence. Mieux
encore, c’est un devoir de militant. L’enfant insouciant qui joue devient
élève, continuant son périple pour devenir enseignant, avec toujours le même
acharnement de l’enfant qu’il était. Cette autobiographie est dédiée aux
enseignants qui doivent naturellement constituer le grand public-lecteur et
particulièrement aux « navetteurs » parmi eux. En un mot, ce
témoignage est un hommage à tous les professeurs qui, au quotidien, peinent et
souffrent seuls dans leurs salles de classes pour qu’émerge de leurs mains une
société meilleure.
Mohamed Essbai s’exprime dans un style simple et accessible à tous. L’entreprise
n’étant pas facile à réaliser, d’autant plus qu’il est difficile d’être simple.
De son écriture émane un sentiment de sécurité et de pureté, plongeant le
lecteur dans une ambiance feutrée, fortement éloignée de cette agressivité
propre aux écrivains maghrébins. Il est vrai qu’il s’insurge contre les
communistes, contre les ennemis de l’Islam, contre les ennemis de Dieu, contre
les corrupteurs, les bureaucrates etc. Cependant il le fait dans une colère
saine et civique.
Ses personnages gravitent dans un halo d’apaisement et
de sérénité malgré leurs nombreux problèmes. Il n’y a qu’à voir comment est
gérée la pauvreté en toute dignité. Comment la bigamie est vécue dans une
grande complicité entre les deux coépouses dont l’une d’elle est d’origine
berbère. Bigamie qui sera soudée par un veuvage.
D’ailleurs, la présence des femmes est dans toute sa vérité
concrète. Il n’y a pas lieu à la femme rêvée, désirée, troublante et excitante
(la femme-produit de vente). Ce fait n’affaiblit aucunement le plaisir de la
lecture, mais bien au contraire lui octroie une saveur nouvelle et une certaine
élévation qu’un lecteur universel devrait considérer comme une originalité.
Le relationnel au sein de la famille et avec les
personnages du voisinage, autant de points forts que renforce la sublimation
des vraies valeurs, malgré l’ingratitude des circonstances.
Et puis cette bibliothèque que le narrateur monte et
démonte au rythme de ses multiples mutations jalonne le texte d’une manière
revigorante, dévoilant la passion de ce dernier pour la lecture. Bibliothèque
concentrant ce plaisir de lire sur la terrasse de la maison de Koulouch à celui
de la grande Bibliothèque municipale.
Un
écrivain, quel que soit son style ou son genre d’expression n’a pas le droit
d’être autrement qu’authentique et intègre. Sartre déclarait à ce
propos : « Qu’il dise la vérité ou qu’il se taise ! »
Mohamed Essbai est un écrivain engagé en ce
qu’il se situe au centre des événements de son époque dont il se fait témoin et
acteur, assumant ainsi son combat. La littérature étant justement un élément de
combat pour qui aurait fait le choix de l’écriture.
Un auteur peut être tout aussi expressif et son style
percutant en optant pour la pudeur et l’authenticité. Aussi, il semble lancer un nouveau type d’écriture
qui se refuse d’être un plagiat d’écriture ou un pastiche de l’Autre.
Edouard Glissant affirmait à ce propos qu’ « une
littérature se détermine autant sur la base de ce qu’elle produit que sur celle
des espérances qu’elle donne. » Cette citation semble convenir
parfaitement à l’entreprise de Mohamed Essbai.
Oujda le 11/11/21/012
ليست هناك تعليقات:
إرسال تعليق