Une mascarade dite Elections Municipales à Oujda

Mohamed ES SBAI
Ecrivain journaliste
Prologue:
La scène se passe à Oujda, la capitale du Maroc dit "non utile", une ville très calme et dont les habitants sont très sympathiques et très correctes.
Comme les autres villes du Maroc, Oujda-city a élu les membres de son prochain conseil municipal le 12 juin 2009. Le vote a donné la première place au PJD avec 21 sièges. Celui-ci a formé son alliance avec le MP pour avoir la majorité (33 sur 65) et former le bureau qui va gérer la municipalité pendant les six ans à venir. Ils ont donné la présidence à Hamel Abdallah, chef du département des sciences à la fac. Le PI , qui voulait la psésidence avec ses 13 sièges, a décidé de se rejoindre au PAM dont la tête de liste est Haddouch, l'ex-président du conseil. Or, les autorités locales ont décidé autrement en faisant circuler des rumeurs sur le danger éventuel du PJD , bien que Mr le Wali ait reconnu la propreté de la campagne électorale des PJDistes dans un point de presse le 13 juin. Pour écarter le PJD et disloquer son alliance soudée, il faut bien une mise en scène où tous les moyens sont permis. Voici le canevas de cette histoire tragi-comique dont j'ai été témoin en tant que correspondant d'Attajdid:


Scène première:
Le Pjd et le MP arrivent au siège de la municipalité le jeudi 25 juin 2009 à 10 heures exactes comme il est dit dans les convocations. La presse est interdite de franchir la porte .Mr le Pacha est très ponctuel ce jour-là ! Il entre dans la salle à 10h05mn, compte les présents sans passer la feuille de présence, puis il sort à 10h 17mn en déclarant à la presse "j'ai levé la séance, la majorité n'est pas présente"! Après quelques minutes Mme Rachida Smaili arrive. La cause du retard est l'embouteillage de la circulation dûe à la visite royale. La majorité est maintenant présente (33 sur 65), mais Mr le Pacha qui monte dans son bureau et ferme sa porte refuse toujours d'ouvrir officiellement la séance et en finir avec cette affaire. Notons que les autres acteurs (le groupe Haddouch-Hjira) boycottent la scène. Puis Mr Abdessaid Chaoui rejoint la clique . Ils sont donc 34 (plus que la majorité), Mr le Pacha s'entête même si la loi n'est pas claire à ce sujet et même si les avocats du PJd réclament que la session n'a pas été ouverte du point de vue formel!




Scène deux:
Les 34 conseillers regroupés autour de Mr Hamel décident volontairement de rester ensemble pour se préparer à la 2ème scène. Ils savent très bien que le bras du Mekhzen est très long, alors ; c'est pourquoi ils s'attachent à la lettre aux lois en vigueur. Ils informent par écrit les Autorités locales qu'ils n'ont pas confiance en Haddouch qui n'a pas cessé d'exercer des pressions sur certains conseillers de l'alliance PJD-MP. Ils sont à l'aise chez Aftati, nourris, logés, libres et en sécurité...


Scène trois:
Les Autorités locales mobilisent toute une armée de police (28 fourgons) pour encercler la maison de Aftati parlementaire du PJD où sont réunis ses conseillers. La cause ? Il est accusé d'avoir kidnappé quelques membres du MP!! Aftati invite la presse locale et nationale pour enter chez lui et voir si ses invités sont réellement kidnappés. Tout est filmé et diffusé sur internet. Les responsables politiques de plus de cinq formations politiques viennent pour témoigner aussi! L'AMDH à Oujda est là. Personne n'est kidnappé! Mr le procureur arrive en personne et demande à 12 conseillers de l'accompagner sur le champ au commissariat pour qu'ils témoignent qu'ils ne sont pas kidnappés par le PJD. Les conseillers dits "kidnappés" sortent à tour de rôle devant Mr Le procureur, la foule des militants du PJD, les voisins et la presse. Ils crient haut et forts "NOUS NE SOMMES PAS KIDNAPPES, NOUS AVONS PEUR DES AUTRES!". Après de longues négociations, le PJD cède et Mr le procureur donne sa parole d'honneur qu'ils seront en sûreté. "C'est l'Etat de droit", dit-on devant les témoins de l'USFP et certains journalistes.



Scène quatre:

Les 12 conseillers (victimes) sont conduits au commissariat comme des malfaiteurs. Au début, c'est des gens très sympathiques qui font leur travail ordinaires et remplissent leurs rapports. "Etes-vous kidnappés par le PJD"? "Non" répond tout le monde. "Est-ce qu'on peut disposer? ". Non bien sur, il y a des gens moins gentils qui veulent les voir. On les passe individuellement un à un dans des bureaux où ils sont "très bien" accueillis par nos Services Secrets. Le menu est varié: menace, chantage, pression, injures… Cela n'a pris que 09 bonnes petites heures! A 4 heures du matin, 8 d'entre eux sont revenus et 5 sont disparus.

Scène cinq:
Enfin le lundi 29 juin c'est demain! On va finalement en finir avec ce cirque! Mais, non! Attendez! Ce sont des convocations qui arrivent tard dans la nuit. La session est reportée jusqu'au vendredi prochain 03 juillet 2009 pour des raisons sécuritaires!!

On se rappelle maintenant que sa majesté est là. En même temps, des rumeurs circulent que les élections vont être annulées. La campagne électorale n'était ni propre, ni honnête!! En attendant ce jour "j", je vous laisse imaginer tous les scénarios possibles pour barrer le chemin devant le président choisi par les Oujdis …
Scène 6
Enfin le jour J arrive. Nous sommes vendredi 03 juillet 2009. Il est 17h. Aujourd'hui, tous les acteurs sont présents sur scène. Mr Belgaid avance doucement appuyé sur ses béquilles parce qu'il a eu hier un accident. La municipalité est assiégée par les forces de l'ordre de différentes sortes. La presse est interdite de s'y approcher sauf la RTM. Saad Eddine El Otmani et Mustapha Ramid (dirigeants nationaux du PJD) sont écartés gentiment par la police. Ils donnent leur speech à la presse en plein boulevard. Seulement, un citoyen généreux et hospitalier s'avise de leur apporter deux chaises de plastique. Ce manège exacerbe les forces de sécurité qui s'approchent d'avantage avec un air agressif. Mr Ibrahimi, parlementaire du PJD ose protester et il se fait arrêter. Dix policiers le conduisent au commissariat. Parlementaire ou pas, on s'en fiche. Il faut bien sauvegarder la paix à Oujdacity qui est menacée d'un terrorisme éventuel ! A terroriste, terroriste et demi ! Il ne sera relâché que vers 4h du matin.
Scène 7
Les journalistes qui ont été chassés de la scène, et dont quelques uns avaient reçu des coups de matraque, se réfugient au siège de leur syndicat qui n'est pas loin de la municipalité. Une sorte de cave mal aérée avec des tabourets boiteux et poussiéreux. Là, un débat houleux est ouvert: Sommes-nous des journalistes? Est-ce que le bureau de notre syndicat actuel est légitime? Les collègues qui ont été frappés sont –ils vraiment des collègues ou des "flics dans la mafia" et des 2B qui méritent bien ce qu'ils ont?
A ce moment-là, on entend des cris de l'émeute. Ce sont les forces de l'ordre qui pourchassent le peuple curieux qui veut tout savoir en détail. Mr B. qui est un journaliste courageux, ose prendre une photo d'une troupe des forces d'intervention rapide (CMI) qui fait correctement leur travail. Alors on court derrière lui et il se réfugie dans le trou des journalistes en montrant à ses collègues sa caméra bousillée.
Scène 8
Les journalistes suivent par téléphone ce qui se passe derrière les murs de la Commune.
Malgré les protestations des PJDistes et de leurs alliés, qui réclament la discrétion du vote, on finit par adopter l'élection par les "couleurs". Hjira obtient 36 voix, El Hamel n'en a que 27. On sent une odeur de trahison. La tension monte dans la salle: le conseiller et avocat du Pjd Noureddine Boubker, se croit au tribunal. Il prend la parole et exprime son mécontentement. Il s'avise de quitter la salle en guise de protestation. Il est suivi par certains de ses amis.




Scène 9
Une fois les conseillers dehors, l'ordre est donné aux policiers d'intervenir. Mr l'avocat reçoit des coups durs sur le crane et les autres conseillers prennent la fuite le long de la rue de Marrakech, actuellement nommée Abderrahmane Hjira (père du nouveau maire), jusqu'au local du PJD. Peu après, l'avocat est transporté aux urgences par une ambulance. On apprend aussi qu'un agent de sécurité vient d'être hospitalisé. Celui-ci est étendu sur le lit voisin, entouré par de hauts responsables. On interdit aux journalistes et aux visiteurs de s'approcher de lui. La RTM est là pour l'interviewer. Un agent de sécurité de l'hôpital proteste mais on lui demande de dégager et de se taire. A Sécurité, Sécurité et demie! Qu'en est-il pour cet avocat PJD qui défend les sans-abris et les pouilleux du quartier des Fourmis et de celui des Grenouilles qui infectent Oujdacity? Son état n'est pas aussi critique qu'on le pense: l'examen de la radio n'a révélé que cela: Hématome extra dural, des contusions cérébrales et une fracture crânienne. Une intervention chirurgicale urgente a été décidée vers 2h 30mn samedi par le neuro afin d'évacuer l'hématome extradural. Elle a duré deux petites heures. La plupart des conseillers qui ont quitté la salle ont eu leur part du bâton. Mr B., ancien président de la commune Sidi Driss Al Kadi a reçu un grand coup sur le dos, de même que son voisin Rachid. Mlle F. a été giflée par un haut responsable de la police et Mme B. a la bouche pleine de sang.
Scène 10
Tous les spectateurs ont peur. Ils quittent la salle de spectacle. On jure de ne plus jamais voter, de ne plus parler politique. Les journalistes regrettent l'atteinte à leur liberté et l'agression de leur local. Les curieux suivent de loin le théâtre des opérations. Certains voyous continuent à siroter leur boisson dans les cafés confortables du boulevard Mohamed V, en chuchotant et sans faire trop de bruit. Tout est rappelé à l'ordre. Les choses vont très vite maintenant à l'intérieur. Voilà, c'est fini. Voici son excellence le nouveau maire qui apparaît. Le frère du ministre est acclamé par quelques la foule qui attendait dehors et qui savait le résultat d'avance. Le PJD a perdu la bataille! On raconte que leur chef n'a jamais mis les pieds à la Wilaya! Ils ont tous une tête dure. Certains spectateurs commencent déjà à critiquer les amis d'Aftati. Ils ont abrité chez eux des menteurs. Qu'ils sont dupes et naïfs ces barbus!
Epilogue:
C'est dommage que notre comédie finisse mal. On peut la transformer en drame romantique. Je pense à Lorenzaccio de Musset qui a tout fait pour délivrer Florence d'un prince tyran et débauché qui s'appelle le Duc Alexandre de Médicis. Le héros du drame se rend compte, mais trop tard, que son peuple ne mérite pas son sacrifice. Quels scénarios se préparent actuellement? Dieu seul le sait. On aurait dû éviter tout cela si on avait suivi la presse française. En effet, Tv5 a résumé il y a quelques mois la question des élections communales marocaines du 12 juin en une formule laconique: "le parti de l'ami du roi fera tout pour contrecarrer la montée des islamistes."
Aftati et ses amis sont appelés à revoir cette réalité en face. "je plie et ne romps pas" dit le roseau au chêne dans la fable de La Fontaine. Ils ont été des héros certes, mais ils ont beaucoup de choses à apprendre dans la politique marocaine. La première leçon : ne pas penser à haute voix. La deuxième: ne jamais jouer le tout pour le tout. La troisième : ne jamais croire un homme politique sur parole. Il est vrai que l'administration a bien joué contre eux, mais, entre nous, elle n'est pas la seule à le faire. N'ont-ils pas été trahis par certains conseillers qui partageaient leur pain et priaient avec eux ! Oujdacity mérite leur sacrifice. Ils ne doivent surtout pas penser à reculer ou à démissionner. Ils ont gagné la sympathie de la presse, de certains partis de la gauche, de l'AMDH, des citoyens. Ces événements ont mis à l'épreuve tous les 65 conseillers. On a connu des hommes et des femmes braves. Un peu de souplesse avec l'administration et ils auront le conseil prochain. Ils doivent accepter le rôle de l'opposition que les metteurs en scène leur proposent. On doit bien les mettre à l'épreuve avant de leur confier la Commune.
 
Oujda 09/07/2009