01 أبريل 2012

L’image de l’Arabe dans "Incube" de Mohammed El Arjouni

Introduction

L’«Incube » est un roman écrit par notre collègue Mohamemd El Arjouni, publié en2003  et réédité 2008. L’auteur est ex professeur de français à Jerada, sa ville d’origine, où il a milité dans les rangs de l’OADP (un parti de la gauche), avant d’être muté à Oujda il y a quelques années. Il est aussi journaliste et poète en français et en arabe. Tout en respectant les choix esthétiques et idéologiques de mon ami El Arjouni, j’espère qu’il accepte, et les lecteurs avec, cette lecture personnelle et subjective de l’œuvre.

Le mot incube )du latin incubare = cauchemar) désigne en français un démon mâle qui est censé prendre corps pour abuser sexuellement d'une femme endormie. Il peut désigner couramment le diable. Chez El Arjouni, l’incube est un personnage diabolique et protéiforme qui torture le narrateur et répand le mal partout. C’est tantôt un bouc, tantôt un homme, tantôt un groupe d’hommes ou un parti politique. C’est l’ennemi juré du narrateur principal (je) qui est un homme simple métamorphosé dans son rêve en bélier et qui se trouve séquestré par un boucher (Bouchaib) qui l’oblige, sous la menace d’un couteau, à écrire son histoire avec sa bien-aimée Safia.


    Il faut noter de prime abord que l’idée n’est pas originale, puisque le romancier s’inspire d’une nouvelle de Franz Kafka, intitulée « Métamorphose», publiée en 1915. C’est l’histoire d’un homme qui, un beau jour, se réveille métamorphosé en cafard. Personne n'a l'air de comprendre que Grégoire Samsa, tel est le nom du personnage, malgré son apparence d'insecte, comprend et pense comme un humain. Sa famille l'enferme, de crainte qu'il ne se sauve ou qu'on le découvre.  Victime de cette disgracieuse transformation, il est peu à peu exclu du cercle familial  jusqu’à sa mort.
Mais pour le cas de l’Incube, le récit se présente sous forme de plusieurs histoires enchevêtrées, ayant parfois deux versions contradictoires.

Sur le plan du fond, plusieurs thèmes sont présents dans le roman d’El Arjouni. Les plus frappants sont celui du sang, de l’exploitation de la femme,  de la prostitution et du sexe. Ces thèmes prennent d’autant plus d’ampleur qu’ils sont liés à l’Arabe. En effet, le cliché de l’Arabe/incube, sauvage et libidineux, est très présent dans l’œuvre.

Dans cet univers romanesque à la fois fantastique et cauchemardesque, le lecteur est certainement curieux de savoir à qui au juste renvoie l’incube. Nous essaierons d’y apporter des éléments de réponse en nous référant à chaque fois au texte.


L’image de l’incube dans le roman:

1-L’incube est un jin:

L’incube est d’abord un jin (démon) qui possède la cousine de Safia, la fiancée du boucher Bouchaib. Il est tellement « violent et jaloux »  qu’il l’empêche d’être mariée. Il abuse d’elle quatre fois par jour. Tous les talebs du douar ne parviennent pas à le neutraliser (p.78). Seul un taleb du sud réussit à délivrer cette femme bédouine. Le souvenir de cette scène malheureuse obsède toujours Safia qui voyage chez sa sœur qui habite El Karyane à Casablanca. Elle a peur de la mer rouge, le soir au coucher du soleil. Bouchaib, un boucher qui demande sa main, croit qu’elle est ensorcelée.  

2-L’incube est un bouc: 

Dans ce roman aux multiples histoires (p.135), le narrateur/ bélier rencontre un bouc dans l’abattoir. Celui-ci dément le récit de Safia (devenue brebis) dans lequel elle accuse l’incube d’impuissance sexuel. Le bouc, après avoir lu quelques pages du récit du bélier, déclare: « Je suis l’incube dont tu parles. Safia t’a raconté des mensonges »p. 87 et affirme sa virilité : « je bandais n’importe quand et pour n’importe quoi qui puisse m’exciter ! c’était mon problème. La preuve c’est que j’avais quatre femmes que je pouvais jouir régulièrement à tour de rôle. » p.87

3-L’Incube est l’Arabe du Golf : 

La figuration de l’Arabe chez Mohammed El Arjouni est très dévalorisante. Nous y  retrouvons le cliché de l’Arabe égorgeur, violeur et stupide. Les Arabes passent leur temps dans l’orgie et la dépravation. Méditons ces passages éloquents:

-« Nous les filles, me dit Safia, on était prêt pour une nuit d’orgie. On les recevait  par des youyous, la danse du ventre, les baisers sadiques et frivoles, les fellations et les cunnilingus, les caresses et les soupirs, la viande du méchoui et les alcools » p.102
-« …ils gambadaient comme les enfants et se lavaient les couilles » p.103
-« Ils ont fait leur ablution au pétrole » p.105
- « Je savais que je n’allais pas demeurer éternellement  entre les mains de cet impuissant vicieux, lécheur de culs » p. 115

Les Arabes/incubes dans le roman sont non seulement stupides et libidineux, mais aussi envahisseurs. Chassés par la guerre du Golf, ils viennent au Maroc perturber le calme des bédouins à Tendrara et violer leurs filles :

-« Le jour tous les incubes chevauchaient leurs chevaux de fer…Les bédouins assistaient de loin à ce spectacle frénétique. Au début, ils croyaient que c’était une invasion militaire. Les plus âgés, ayant vécu sous le protectorat eurent cette impression. Mais ils ne se trompèrent pas, car c’était une invasion mais d’un autre ordre. » p. 101


L’auteur reprend le cliché  de l’arabe sauvage et vicieux. Il imagine une  cité arabe avec un centre de formation des Hourris, avec tout le sens religieux que charrie le mot en Islam. La femme se réduit alors en source de plaisir charnel:

-« On leur apprenait à bien faire l’amour et à se plier à toutes les exigences qui étaient vraiment extravagantes. On les voulait comme des Hourris. Il va de soi qu’on les voulait toutes vierges. On se délectait couler entre leurs cde voir leur sang parfumé couler entre leurs cuisses. »p. 89
-« Quand vint le moment de la floraison chacun s’isola avec sa compagne » p.90


L’arabe dans le roman est hypocrite car il fait sa prière juste après une scène de débauche. Il remet ensuite un chèque à sa maitresse. Ecoutons le récit de Safia :

-« Il me demanda de lui montrer le levant. Etait-il étourdi ?! il était chez lui. Il devait bien connaitre la direction. Je lui désignais du doigt au hasard une direction, moi-même j’avais perdu le sens de l’orientation. J’étais vraiment désorientée à l’intérieur de cette immense villa.il devait le savoir. Il se mit à prier… le chèque »p. 84.

4-L’incube est criminel et hypocrite:

    L’incube est derrière l’incendie du Kariane p.152.Mais, avec l’argent qu’il possède, il  construit un immeuble et aide les gens sinistrés à s’y installer p.152. Aussi cache-t-il au peuple son vrai visage et affiche le masque du bienfaiteur !!
Il  est aussi dissipateur car il donne un chèque ouvert au propriétaire d’un casino à Londres pour l’élargir… Il croit que dépenser beaucoup d’argent est signe de virilité…p.132


5-Les incubes sont enfin les islamistes « obscurantistes et hypocrites» : 

Dans l’imaginaire de l’écrivain, tous les malheurs de la femme sont dus aux hommes arabes incubes qui la privent de ses droits. Mais vers la fin du roman, nous glissons des incubes arabes, venus d’ailleurs, aux incubes marocains, puisque l’allusion au contexte historique de 1999 ne nous laisse aucun doute. Voici comment ils sont représentés par la femme prostituée Safia :

- « Les incubes qui venaient chez-nous, ne passaient pas seulement leur temps dans les vices et les orgies. Ils s’intéressaient à tous les domaines. Ils étaient très influents. Et toutes les femmes et les  hommes qui haletaient derrière leurs richesses et qui visaient leur argent, étaient également manipulés à des fins politiques. Ils exigeaient d’eux de faire la campagne électorale pour les candidats d’un parti prônant les mêmes idées qu’eux. Des idées obscurantistes bien sûr. Ils ont même subventionné des manifestations, comme celle de Casablanca qui se mobilisa contre le projet de plan d’intégration de la femme. »

Ils ont mobilisé les prostituées et les entremetteuses (l’Impératrice) pour organiser la grande marche de Casablanca ! contre le plan d’action pour l’intégration de la femme. Une allusion directe du projet initié par le gouvernement d’Alternance en 1999.

 « L’impératrice, aidée  par un grand nombre de femmes, et nous bien sûr, mobilisa toutes les femmes de bonne joie et celles des bidonvilles qui ne demandaient que l’argent. Les incubes ne voulaient pas que les femmes soient conscientes de leurs problèmes. Ça ne les arrangeait pas. J’y ai participé mais le voile que je portais dévoilait mon hypocrisie. Je le faisais pour de l’argent, on manifestait contre nos droits ! moi j’en étais consciente. Les autres comme je te l’ai dit ne cherchaient que le fric… elles portaient le voile, criaient contre les autres femmes qui manifestaient à Rabat rien que pour toucher des chèques, ou pour espérer faire partie des harems des incubes, ne serait-ce que pendant une seule nuit… les incubes sont des hypocrites finis » ! 162

De cette manière, tout finit par devenir incube dans le délire du narrateur. Les femmes victimes deviennent elles-aussi complices. A l’image de Driss Ferdi dans le Passé Simple, le narrateur devient franc-tireur et n’épargne personne. Il en vient à s’en prendre à son lecteur virtuel qu’il qualifie d’« imbécile».


Conclusion :

L’Incube de Mohammed El Arjouni s’inscrit donc dans la lignée des écrits de Chraïbi et de Tahar Benjelloun. Il perpétue une tradition, déjà ancienne, initiée par ces pionniers du roman marocain d’expression française, basée sur un moi subversif qui fustige le père/Seigneur, ses traditions et ses idées qui sont à l’origine de tout son mal. Ce qui est nouveau chez notre collègue c’est peut-être la complexité de la trame textuelle, ainsi que l’overdose du lexique scatologique, voire répugnant comme cette « morve verdâtre » citée à plusieurs reprises. Ce qui explique peut-être que l’S.O.S lancé par l’auteur au début du roman reste sans réponse. Peu d’intellectuels ont réagi au livre jusqu’à présent malgré l’effort de l’auteur pour atteindre un large public. Ce qui pose encore une fois le problème de la réception du roman marocain d’expression française. Ou bien le lecteur marocain n’est pas à la hauteur, ou bien le créateur ne répond pas encore au goût et aux attentes de ce lecteur.


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NB : Les pages renvoient à l’édition de 2008 (imprimerie Rabat-net)


Mohamed ES SBAI

هناك 3 تعليقات:

غير معرف يقول...

Saluons, tout d’abord, l’endurance et la persévérance de Mr Es Sbai qui a eu le double courage de lire cet ouvrage jusqu’au bout (entreprise à laquelle j’ai échoué) et de dire tout haut ce que certains pensent tout bas.
Première question : A quel public est destiné cet Incube ? L’auteur vise-t-il un lecteur maghrébin ?musulman ? arabe ? ou universel tout simplement ? Peu importe. Ce qui nous importe c’est le texte en lui-même, et partant le rapport de l’auteur à ce dernier. Il est vrai que l’écrivain « engagé » se veut témoin de son époque. Mais encore faut-il qu’il soit conscient du danger de sa mission et assumer entièrement le rôle qu’il s’assigne. L’acte d’écriture ne saurait se limiter à un auto-miroitement, bien au contraire, il s’agit d’une action responsable, profonde et réfléchie qui engage entièrement celui qui l’entreprend.
Deuxième question : où résiderait l’originalité de cette œuvre ? Où serait l’intérêt à plagier le style et les concepts de l’Autre.
En suggérant, on atteint mieux son lecteur qu’en désignant. L’auteur se doit de respecter le domaine d’imagination du lecteur (ce qui a été reproché à Balzac).
Sincérité et authenticité restent les ingrédients incontournables et fondamentaux du grimoire de l’art de l’écriture.
Qu’est-ce que l’Art sinon la beauté et la subtilité naturelles.
En un mot, l’art est élévation.

غير معرف يقول...
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Umzug Wien يقول...

Merci :)